Pentecôtite aiguë

Torturé tu seras. Le lundi de Pentecôte, travaillé ou chômé ? Chaque année, le travailleur Français tente de résoudre ce case-tête. En vain. Récit fictif inspiré d’une question existentielle.

coloriage-mr-bonhomme-9518Deux jours de détente, deux minutes à tenir…Une semaine qu’Anne prie sans relâche le soleil, ce fainéant, de se remettre au boulot. Sereine, elle prend la position du transat.Quand soudain une question existentielle frappe son cortex. Une toute petite idée qui ne la quittera plus. L’inception réussie de l’almanach : Lundi de Pentecôte, chômé ou pas?

Électrochoc. Elle balaie l’openspace, le doute ne semble pas gagner ses confrères de besogne, rivés sur leurs écrans. Elle empoigne son clavier et tape les mots clés « Lundi de Pentecôte » et « férié ». Espoir. Elle n’est pas seule dans ce tourment. Le syndrome de pentecôtite aiguë gangrène le pays depuis 2004. Cette année-là, un certain cardinal Raffarin a pris la décision, suite à la canicule de 2003, de transformer ce lundi férié en jour travaillé mais non payé. Résultat, le pieu travailleur reverserait désormais le salaire de ce lundi à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Histoire de maintenir les ridés du pays. En 2008, la loi change à nouveau la donne. Le lundi de Pentecôte redevient férié mais le travailleur est libre de sa contribution : venir bosser un autre jour férié, donner un RRT, un jour de congés payés, fractionner son dû sur l’année. Ou encore, miracle rarement observé, l’entreprise peut offrir cette journée à ses salariés.

Anne est désormais incollable sur le Lundi de Pentecôte, mais persiste dans sa quête. Sur le net, une flopée d’articles, de statistiques renseignent sur les assujettis au travail. Il semblerait qu’en ce jour saint, grandes surfaces, centres commerciaux et autres temples de la consommation accueillent leurs fidèles. Une clientèle enrichie par tous les non travailleurs : employés de la poste, des mairies, banquiers, bibliothécaires. Bref, presque tous les fonctionnaires. Les établissements scolaires sont eux aussi astreints à la farniente. L’occasion de se cultiver un peu. Mais gare ! Seuls les grands musées nationaux ouvrent leur portes. Et tous les chômeurs d’un jour peuvent voguer vers les quatre coins de la France grâce à un trafic aérien et ferroviaire identique à celui des jours fériés. Pour tous les autres, c’est au cas par cas.

La belle affaire ! Anne est encore plus confuse. Les gobelets de café, à sec, jonchent son bureau. Anne, elle, est moite d’angoisse. Elle se ronge les ongles, se met à fouiller dans les anciens calendriers à la recherche d’un indice, d’une piste. Envolée la détente, fracassé le transat, éclipsé le soleil. Elle prend son courage à deux mains, et avance timidement vers le bureau du directeur. Elle se risque à poser LA question : « Heu, Jérôme, Lundi, je dois revenir au bureau ? ». Le big boss, la jauge de pied en cap, lève un sourcil et s’exclame : « Vous êtes dingue ou quoi ? Jusqu’à lundi, c’est la féria de Nîmes, le pèlerinage annuel de la sangria, c’est Moïse guidant son peuple à travers la mer de pastis, c’est une communion en odes anisées. Nous, irréductibles Gaulois, on s’est battu en 2004 pour défendre cette célébration. Potassez un peu ma petite ! » Elle s’enfonce dans son malaise, quand le patron se reprend : « Veuillez m’excuser Anne, rien de bien méchant, j’avais oublié…vous arrivez de Paris il me semble… »

 

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