Au détour d’un trottoir

A l’époque on les nommait femmes de petites vertus. Même si les dénominations ont changé pour de plus vulgaires appellations, le métier reste le même.  Posture cambrée, l’œil dessiné, elles connaissent le rituel.  Aguicher en arpentant les trottoirs de la rue Beck du quartier Belcier est leur peine quotidienne. Leur secteur de rabattage se situe tout près des abattoirs et des usines à barbaque. C’est aussi de la chair que l’on vend ici.

La pluie tombe sur cette zone sans âme. Le mauvais temps ne fait pourtant pas obstacle à vile besogne. Au coin d’une rue, l’une d’entre elles toute vêtue de dorée se remaquille sous son parapluie. Quelques mètres plus loin, les trois autres cancanent, cigarette à la main, dans une langue aux sonorités de l’Est. Difficile de reconnaître dans leurs conversations leur pays d’origine. Roumaines ? Bulgares ? Une chose est certaine elles sont jeunes. La vingtaine à peine amorcée.

Au feu rouge, certains hommes leur font un signe de la main. Quelques secondes suffisent pour négocier le tarif. La plus jeune des quatre monte côté passager. L’affaire ne sera que de courte durée. Ce ballet des bas-fonds et sa sordide chorégraphie ont pour décor le béton.

Sur le trottoir d’en face s’étend le paysage qu’elles ont chaque jour sous les yeux. Une immense résidence standing est en train de se construire. En lettre capitale sur les panneaux qui délimitent la bâtisse, on peut lire « Etre bien chez soi ». L’ironie est parfois de mauvais goût.

Elodie Cabrera

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